Au-delà de la séquence : quand la structure de l’ADN régule les gènes
Dans une étude publiée dans Nature Genetics, des scientifiques montrent que certaines structures tridimensionnelles de l’ADN, nommées G-quadruplexes, jouent un rôle clé dans la régulation de l’expression des gènes chez les mammifères. Ces structures présentes dans 40% des régions promotrices des gènes, régions qui régulent leur expression, facilitent l’accès de la machinerie cellulaire qui initie la transcription.
Quand la structure de l’ADN fait toute la différence
Depuis plus de 60 ans, la définition exacte des promoteurs des gènes, ces régions de l’ADN qui déclenchent la transcription, fait débat. Elle a été formulée pour la première fois dans les années 1960 par Jacques Monod et ses collègues au travers de l’étude de l’opéron lactose chez les bactéries. Ce système permettait de montrer comment un groupe de gènes pouvait être activé ou désactivé selon les besoins de la cellule, grâce à des régions spécifiques de l’ADN, les promoteurs. Depuis, ce concept a évolué. On considère aujourd’hui qu’un promoteur est une courte séquence d’ADN nécessaire pour lancer efficacement et précisément la transcription d’un gène. Cette séquence contiendrait des éléments comme la boîte TATA qui recrute la machinerie de transcription.
Cependant, ces éléments classiques, identifiés à partir d’études sur les bactéries ou les virus, sont rarement retrouvés dans les génomes des mammifères. En réalité, ils ne permettent souvent pas de distinguer clairement les promoteurs du reste du génome. Résultat : pour la majorité des promoteurs chez les mammifères, il n’existe pas de cadre clair de définition de séquences.
Dans les cellules eucaryotes, l’ADN est empaqueté sous forme de chromatine, une structure compacte constituée d’un enchaînement de nucléosomes, qui sont des complexes formés d’ADN enroulé autour de protéines histones. Cette organisation en chromatine joue un rôle central dans la régulation des gènes, notamment en contrôlant l’accès à certaines régions comme les promoteurs. Si l’ADN prend généralement la forme d’une double hélice, il peut aussi adopter d’autres configurations, dont les G-quadruplexes (ou G4s). Ces structures, très stables, se forment sur un seul brin d’ADN lorsque plusieurs guanines s’assemblent autour d’ions potassium ou sodium. Cette forme empêche l’ADN de s’enrouler autour des nucléosomes de manière classique, modifiant potentiellement la manière dont les gènes sont régulés.
Les G-quadruplexes, nouveaux acteurs de la transcription
Dans une étude publiée dans la revue Nature Genetics, les scientifiques révèlent que les séquences capables de former des G4s sont présentes dans au moins 40% des promoteurs de mammifères, contre moins de 10% pour la boîte TATA. Ces G4s sont donc bien plus fréquents et statistiquement significatifs que les autres séquences testées. Grâce à une méthode qu’ils ont développée (G4acces), les scientifiques montrent que ces structures favorisent l’ouverture de la chromatine, rendant l’ADN accessible. Même in vitro, dans un contexte dépourvu d’autres protéines que les histones, les G4s confèrent à l’ADN la propriété de repousser intrinsèquement les nucléosomes.
Enfin, sur la base d’investigations fonctionnelles combinant microscopie en temps réel et modélisation mathématique, l’étude montre que les G4s sont nécessaires à l’activité des promoteurs et régulent à la fois le recrutement de la machinerie de transcription et l’étape dite de « pause » de l’ARN polymérase II, une étape clé de la transcription.
Ces résultats ouvrent la voie à une nouvelle compréhension des promoteurs : au-delà des simples séquences, la forme même de l’ADN pourrait jouer un rôle crucial dans le déclenchement de l’expression des gènes. De futures recherches permettront peut-être d’étendre ce concept à d’autres espèces et de découvrir d’autres structures.

Figure : Les G-quadruplexes sont des éléments promoteurs de la transcription. Les G4s marquent les régions initiatrices de la transcription et sont nécessaires à l’activité des promoteurs. Ils permettent l’ouverture de la chromatine et facilitent le recrutement de la machinerie de transcription à la fois pour la transcription « sens » et « antisens » des gènes. Ils contribuent enfin à l’initiation de la transcription en limitant l’étape de « pause » de l’ARN polymérase II, collaborant ainsi à son départ en élongation productive.
Référence : G-quadruplexes are promoter elements controlling nucleosome exclusion and RNA polymerase II pausing. Esnault C, Zine El Aabidine A, Robert MC, Cucchiarini A, Magat T, Pigeot A, Bouchouika S, Garcia-Oliver E, Gawron K, Basyuk E, Karpinska MA, Kozulic-Pirher A, Luo Y, Verga D, Mourad R, Radulescu O, Mergny JL, Bertrand E, Andrau JC.
Nature Genetics, 22 juillet 2025, DOI : 10.1038/s41588-025-02263-6.
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