Pores nucléaires : une fragilité structurelle révélée par des mutations

Résultats scientifiques Biochimie-biologie structurale

Les pores nucléaires sont des assemblages protéiques essentiels de l’enveloppe nucléaire qui régulent les échanges entre le noyau et le reste de la cellule. Des mutations qui affectent certaines de ces protéines sont retrouvées dans des maladies génétiques rares. Mais, curieusement, seuls certains tissus sont atteints. Dans une étude publiée dans Nature Cell Biology des scientifiques démontrent que l’absence d’une de ces protéines entraîne des modifications de structure des pores nucléaires qui augmentent la vulnérabilité de l’enveloppe dans certaines cellules différenciées.

Le noyau, qui contient le matériel génétique, est délimité par une enveloppe percée de pores nucléaires qui permettent et régulent les échanges entre le noyau et le reste de la cellule. Les pores nucléaires sont des assemblages moléculaires complexes, de forme cylindrique, avec une symétrie d’ordre huit, dont l’architecture de base est formée de trois anneaux empilés : un anneau central entouré de deux anneaux externes qui ancrent des structures filamenteuses. Chaque anneau est formé de sous-ensembles de protéines appelées nucléoporines (ou Nups).Un groupe particulier de nucléoporines, appelé le complexe Y, forme l’ossature des deux anneaux externes. 

Des mutations dans le complexe Y n’affectent que certains tissus

On pourrait penser que ce complexe Y est essentiel pour la structure du pore nucléaire et que des défauts dans la structure de base perturbent l’ensemble des cellules. Or certaines mutations dans ses composants sont liées à des maladies génétiques rares qui n’affectent que certains tissus ou types cellulaires spécifiques. Ainsi, certaines des protéines qui composent le complexe Y, comme Nup133, ne sont pas nécessaires dans les cellules souches embryonnaires de souris, mais leur absence affecte la différenciation de ces cellules.

Ces mutations induisent bien des modifications de structure des pores nucléaires…

Dans une étude publiée dans Nature Cell Biology, les scientifiques ont caractérisé, grâce à une méthode innovante de biologie structurale in situ, l’impact de l’absence de Nup133 sur l’architecture des pores nucléaires dans des cellules souches embryonnaires de souris et dans leurs dérivés différenciés en progéniteurs neuronaux. Pour cela, ils ont employé la cryo-tomographie électronique (cryo-ET), une technique d’imagerie en 3D à haute résolution qui permet de visualiser des structures cellulaires dans leur état natif, en les vitrifiant à très basse température. Cette approche a révélé de façon inattendue que certains pores nucléaires des cellules Nup133-/- présentent des symétries non classiques (d’ordre 7 ou 9 au lieu de 8) et des anneaux cytoplasmiques (CR) ou nucléaires (NR) altérés. Alors que les analyses par cryo-ET sont généralement basées sur l’analyse d’images moyennées, ils ont ensuite employé une approche de « template matching », qui consiste à chercher une structure précise en la comparant à un modèle préexistant. Cela leur a permis d’étudier l’organisation de pores nucléaires individuels, révélant une forte hétérogénéité des pores nucléaires des cellules Nup133-/-, avec des sous-unités manquantes, ce qui fragilise potentiellement cette structure.

…qui provoquent une vulnérabilité accrue dans certains types cellulaires

Enfin, ces travaux ont aussi révélé que lors de la différenciation neuronale, les pores nucléaires de cellules contrôles se dilatent, alors que les pores nucléaires déficients en Nup133 se désintègrent fréquemment, ce qui entraîne des ouvertures anormalement larges dans l'enveloppe nucléaire. 

Ces résultats suggèrent que l’intégrité structurale des pores nucléaires, qui leur confère une certaine élasticité, joue un rôle protecteur pour l'enveloppe nucléaire, et que des défauts du complexe Y deviennent critiques lorsque la tension augmente au niveau de l’enveloppe nucléaire. L’impact spécifique sur certains tissus de mutations génétiques affectant ces nucléoporines pourrait ainsi s’expliquer par l’existence de forces mécaniques variables au niveau de différents types cellulaires.

© Taniguchi et al., Nat Cell Biol. 2025

Figure : Analyse par cryo-tomographie électronique de l’impact de l’absence de Nup133 sur l’architecture des pores nucléaires
A. Coupe d’un cryo-tomogramme montrant la surface de l’enveloppe nucléaire d’une cellule souche embryonnaire Nup133-/-, comportant deux pores nucléaires de symétrie huit et sept, respectivement. B. Exemple de l'analyse par « template matching » du cryo-tomogramme d’un pore nucléaire de symétrie huit provenant d’une cellule Nup133-/-. Les tracés 3D des pics correspondant aux sous-structure formant les anneaux cytosoliques (CR, jaunes) et nucléaires (NR, roses) et une carte 3D d’un pore nucléaire positionnant les sous-structures identifiées sont présentés. C. Histogramme reflétant la diversité du nombre de structures cytoplasmiques et nucléaires détectées par l'analyse par « template matching » de 22 pores nucléaires de cellules Nup133-/-. D. Représentation schématique des pores nucléaires de cellules contrôles (WT) ou Nup133-/ à l’état pluripotent (cellules souches embryonnaires) ou suite à leur différentiation en progéniteurs neuraux. Des cartes issues de l’analyse par « template matching » de pores nucléaires de progéniteurs neuraux sont présentées à droite du schéma. 

Référence : Nuclear pores safeguard the integrity of the nuclear envelope. Taniguchi R, Orniacki C, Kreysing JP, Zila V, Zimmerli CE, Böhm S, Turoňová B, Kräusslich HG, Doye V*, Beck M.* 
Nature Cell Biology, Mai 2025, DOI : 10.1038/s41556-025-01648-3 

Contact

Valérie Doye
Directrice de recherche CNRS
Martin Beck
Directeur et chercheur au Max Planck Institute of Biophysics

Laboratoire

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