L’ocytocine : l'hormone de l'amour ou simple mythe ?

L’ocytocine est souvent surnommée « l’hormone de l’amour » et fait régulièrement les gros titres dans la presse. Mais derrière cette image idyllique, la réalité scientifique est plus complexe. Que nous dit vraiment la recherche sur cette molécule ? Peut-on réellement réduire l’amour à une simple question de chimie ?

Un surnom trompeur ?

L’association de l’ocytocine à l’amour remonte à sa découverte au XXe siècle. L’ocytocine est un neuropeptide, une petite protéine qui agit comme un messager chimique dans le cerveau et dans de nombreux organes périphériques. Elle est notamment responsable des contractions utérines déclenchant l’accouchement ainsi que la contraction des glandes mammaires, lors de l’allaitement, favorisant le lien mère-enfant. Le rôle de l’ocytocine dans cette première relation d’amour filial a rapidement été surinterprété pour devenir l’hormone du couple et des relations amoureuses.

La biologie comparée nous met d’ailleurs en garde : moins de 5 % des mammifères forment des couples monogames, pourtant tous possèdent de l’ocytocine. Chez les campagnols, ces petits rongeurs souvent utilisés comme modèles d’étude, la monogamie ou la polygamie dépend davantage de la répartition des récepteurs à l’ocytocine dans le cerveau que de la simple présence de cette molécule.1

Alors, si l’ocytocine n’est pas l’hormone du couple, quel est son véritable rôle ?

L’hormone du lien social avant tout

Plutôt que l’amour romantique, la recherche actuelle tend à montrer que l’ocytocine est avant tout l’hormone du lien social. Une distinction essentielle.

Le lien mère-enfant, largement étudié, illustre parfaitement le rôle social de l’ocytocine. Les contacts peau à peau stimulent sa libération aussi bien chez la mère que chez l’enfant, déclenchant une cascade d’effets bénéfiques : réduction du stress et de l’anxiété, atténuation de la douleur et renforcement du bien-être mutuel. 

  • 1Lim, M., Wang, Z., Olazábal, D. et al. Enhanced partner preference in a promiscuous species by manipulating the expression of a single gene. Nature, 2004
On dépasse largement un rôle d'amour, éros, de l'ocytocine, mais plus filial, on est dans la version de l'amour en tant que soin à l'autre.
Pierre-Marie Lledo, Directeur de recherche CNRS, UMR3571 - Gènes, synapses et cognition (CNRS/Institut Pasteur)

Des études menées au CNRS ont exploré ce rôle de l’ocytocine dans la motivation sociale. Alexandre Charlet et ses collaborateurs ont montré que chez le rongeur, une interaction tactile entre deux individus active des neurones spécifiques et favorise la libération d’ocytocine2 . Cette boucle vertueuse entretient l’envie d’interaction sociale. À l’inverse, son absence peut conduire à un isolement progressif. Une piste de recherche particulièrement intéressante en gériatrie, où l’isolement social est un facteur majeur de dépression et d’anxiété.

Des espoirs thérapeutiques… et des limites

L’ocytocine a-t-elle un potentiel thérapeutique ? C’est ce qu’explorent plusieurs équipes de recherche.

Au début des années 2010, à Lyon, les travaux d’Angela Sirigu3  ont montré que l’administration d’un spray nasal d’ocytocine pouvait améliorer les interactions sociales chez des enfants atteints du syndrome d’Asperger.4

Cependant, la mise en application clinique se heurte à des obstacles majeurs. L’ocytocine est une petite molécule fragile : sa demi-vie est extrêmement courte (5 à 10 minutes) et elle ne traverse pas la barrière hémato-encéphalique. Son administration par spray nasal ou par injection sanguine pose donc question : comment expliquer les effets observés alors que la molécule ne peut atteindre directement le cerveau ? C’est là tout le mystère de l’ocytocine.

Pour contourner ces limites, des scientifiques développent actuellement des agonistes du récepteur à l’ocytocine, des molécules capables de mimer ses effets tout en étant plus stables dans l’organisme.5  6 Un espoir pour de futures applications médicales.

L’ocytocine et le coup de foudre : mythe ou réalité ?

Revenons à notre point de départ : le coup de foudre peut-il être expliqué par l’ocytocine ?

Les études sur les campagnols montrent que la formation du couple implique plusieurs molécules : dopamine, sérotonine, vasopressine et, bien sûr, ocytocine. Mais ces hormones agissent dans différentes régions du cerveau et à des moments distincts du processus d’attachement.

Ainsi, l’ocytocine ne peut pas être responsable, à elle seule, du coup de foudre. 

  • 2Tang Y, Benusiglio D, Lefevre A, et al. Social touch promotes interfemale communication via activation of parvocellular oxytocin neurons. Nat Neurosci. 2020
  • 3Directrice de recherche CNRS, aujourd’hui rattachée à l’UMR7289 - Institut de neurosciences de la Timone (Aix-Marseille Université/CNRS)
  • 4E. Andari,J. Duhamel,T. Zalla,E. Herbrecht,M. Leboyer,& A. Sirigu, Promoting social behavior with oxytocin in high-functioning autism spectrum disorders, Proc. Natl. Acad. Sci (2010).
  • 5Frantz MC, Pellissier LP, Pflimlin E, et al. LIT-001, the First Nonpeptide Oxytocin Receptor Agonist that Improves Social Interaction in a Mouse Model of Autism. J Med Chem. 2018
  • 6Hilfiger L, Zhao Q, Kerspern D, et al. A Nonpeptide Oxytocin Receptor Agonist for a Durable Relief of Inflammatory Pain. Sci Rep. 2020
Si l’amour était aussi simple qu’une injection d’ocytocine, il suffirait d’un spray nasal pour tomber fou amoureux de la première personne croisée dans la rue… ce qui n’est évidemment pas le cas !
Alexandre Charlet, Directeur de recherche CNRS, UPR3212 – Institut des neurosciences cellulaires et intégratives (CNRS)

Le coup de foudre repose sur un mélange complexe de perception sensorielle, de cognition, d’émotions et de contexte social et culturel. Une rencontre inattendue, une esthétique qui nous parle, une voix qui nous trouble… Autant d’éléments qui ne peuvent se réduire à une seule molécule, mais induisent les réactions chimiques nécessaire à l’apparition de ce sentiment fort.

Une molécule clé, mais pas magique

Loin d’être une simple « hormone de l’amour », l’ocytocine est une molécule essentielle à la survie de l’espèce. Elle encourage à la reproduction, le soin parental, les interactions sociales, et même la gestion du stress et de la douleur. Une molécule précieuse, mais dont l’action est bien plus subtile que ce que l’on pourrait croire.

Réduire l’ocytocine à une question d’amour serait une erreur. L’attachement, les émotions et les relations humaines sont bien trop complexes pour être expliqués par une seule molécule. Mais en comprenant mieux son rôle, de nouvelles pistes thérapeutiques peuvent être explorées afin de mieux appréhender l’importance des liens sociaux dans notre bien-être.

Alors, l’ocytocine, hormone de l’amour ? Pas vraiment. Mais une clé précieuse qui est là pour nous faciliter la vie et que nous lie les uns aux autres.