Les cellules, petits poucets des tissus vivants

Résultats scientifiques Biologie cellulaire

Comment les cellules trouvent-elles leur chemin dans l’organisme ? Cette question sous-tend un grand nombre de processus, de la surveillance immunitaire jusqu’à l’invasion cancéreuse. Des chercheurs l’ont abordée en combinant des méthodes de micro-structuration de l’environnement cellulaire, l’analyse d’un grand nombre de trajectoires cellulaires et la théorie des marches aléatoires. Ces travaux, publiés dans la revue Nature Communications, révèlent que les cellules déposent une empreinte physico-chimique sur leur passage et y reviennent préférentiellement. Cela leur confère une mémoire à long-terme des positions précédemment visitées et modifie profondément la façon dont elles explorent leur environnement.

Dans l’organisme, de nombreuses cellules se déplacent pour accomplir leurs tâches : c’est le cas, par exemple, des cellules immunitaires qui patrouillent dans les tissus à la recherche d’antigènes ou des fibroblastes qui assurent la maintenance du tissu conjonctif, mais aussi de certaines cellules cancéreuses qui s’échappent de leur tumeur primaire pour aller former des métastases dans d’autres organes. Ces cellules se meuvent dans un environnement complexe, la matrice extra-cellulaire, dont les propriétés mécaniques et chimiques affectent leurs déplacements. Elles sont aussi capables de modifier cet environnement, en remodelant sa structure ou en y déposant des molécules nouvellement produites. Pourtant, les rétroactions possibles entre migration et modifications de l’environnement n’avaient jamais fait l’objet d’une attention particulière.

En restreignant les mouvements de cellules épithéliales le long de rails adhérents, des biophysiciens ont observé que, plutôt que de changer de direction de façon erratique, ces cellules ont tendance à osciller systématiquement autour de leur position d’origine, ne s’en éloignant que petit à petit. L’analyse des trajectoires de ces cellules a révélé qu’elles se comportent comme des marcheurs aléatoires auto-attractifs : elles déposent des protéines de matrice extra-cellulaire sur leur passage, gardant ainsi en mémoire les positions précédemment visitées, et lorsqu’elles parviennent au bord de leur propre empreinte elles ont tendance à revenir sur leurs pas. Sous l’effet de cet auto-confinement, l’espace visité croît lentement dans le temps mais en contrepartie il est parcouru de façon compacte, c’est-à-dire que la cellule n’y laisse aucun « trou » inexploré.

Ce travail entre expérimentateurs et théoriciens met ainsi au jour un mécanisme puissant qui est potentiellement à l’œuvre dans différents contextes biologiques : en balisant leur chemin, les cellules se dotent d’une mémoire qui peut être exploitée à l’échelle individuelle ou collective pour couvrir plus efficacement l’espace environnant.

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© Joseph d’Alessandro
Figure : La cellule trace son chemin tout en se déplaçant. (a) Une cellule épithéliale confinée sur un rail adhérent et exprimant un rapporteur fluorescent de polarité (PBD-YFP). La cellule se déplace de façon directionnelle et se retourne spontanément. (b) Rail adhérent de fibronectine, vu par microscopie de fluorescence (gauche), après y avoir fait adhérer, puis retiré, des cellules. Lors de leur passage, les cellules y ont déposé de la fibronectine et de la laminine, deux types de protéines de matrice extra-cellulaire visualisées par immunofluorescence (centre et droite). (c) Schéma du modèle de marche persistante auto-attractive (PSATW) : un agent (flèche noire) se déplace sur un réseau en sautant de site en site. Il est capable de distinguer les sites déjà visités (pleins) des sites inconnus (vides), et selon qu’il se trouve au bord (haut) ou à l’intérieur (bas) du domaine visité, il préfèrera, respectivement, rebrousser chemin ou continuer tout droit.

Pour en savoir plus :
Cell migration guided by long-lived spatial memory.
Joseph d’Alessandro, Alex Barbier-Chebbah, Victor Cellerin, Olivier Benichou, René Marc Mège, Raphaël Voituriez et Benoît Ladoux.
Nature Communications 4 juillet 2021.
https://doi.org/10.1038/s41467-021-24249-8

Contact

Benoit Ladoux
Chercheur CNRS à l'Institut Jacques Monod-IJM (CNRS/Université de Paris)
Raphaël Voituriez
Chercheur CNRS au Laboratoire Jean Perrin (CNRS/Sorbonne Université)

laboratoire

Institut Jacques Monod (CNRS/Université de Paris)
15 rue Hélène Brion
75013 Paris

Laboratoire Jean Perrin (CNRS/Sorbonne Université)
4, place Jussieu, Tour 32-33, Case Courrier 114
75252 Paris Cedex 05