Sous tension: un nouveau moyen de guider un groupe de cellules en migration

Résultats scientifiques Biologie cellulaire

Certaines cellules, notamment métastatiques, doivent coopérer avec leurs voisines pour migrer efficacement. En analysant le développement précoce de l’embryon de poisson zèbre, les scientifiques ont identifié une nouvelle façon pour les cellules de coopérer. Chaque cellule, pour avancer, s’ancre et tire sur la cellule située devant elle. Celle-ci perçoit cette traction et utilise cette information pour orienter son propre mouvement. L’information de direction se propage ainsi de cellules en cellules, coordonnant la migration d’un ensemble de cellules. Les résultats sont publiés dans la revue Developmental Cell.

Les migrations cellulaires sont essentielles à de nombreux processus normaux (cicatrisation, régénération, développement embryonnaire) et pathologiques (formation de métastases notamment). Depuis une quinzaine d’années, il est apparu que beaucoup de migrations cellulaires sont collectives, à savoir que chaque cellule a besoin de ses voisines pour se déplacer. Néanmoins les mécanismes responsables de ces migrations collectives restent peu connus.

Les scientifiques utilisent l’embryon précoce de poisson-zèbre comme système modèle. Etant largement transparent, ce modèle permet de suivre précisément les migrations cellulaires, tout en offrant la possibilité de manipuler physiquement ou génétiquement les cellules ou leur environnement. En se concentrant sur une population cellulaire particulière, le mésendoderme axial, ils ont identifié un mode de guidage original : pour migrer, une cellule émet vers l’avant une protrusion (extension de membrane) qui lui permet de progresser par traction. Cette protrusion exerce donc une tension sur la cellule située devant elle. Cette tension est perçue dans la cellule par un système moléculaire de détection des forces, et induit l’orientation de la cellule, qui va alors à son tour émettre une protrusion vers l’avant, et orienter la cellule devant elle. L’information de direction se propage ainsi de cellules en cellules à travers le tissu. Ce mécanisme permet à un groupe de cellules de s’orienter, sans nécessiter de signaux de guidage extérieurs, ce qui pourrait être particulièrement pertinent pour des cellules cancéreuses capables d’envahir de nombreux tissus qui ne fournissent pas a priori de signaux de guidage.

A l’échelle d’un groupe cellulaire, ce mécanisme assure également la coordination du mouvement des cellules : si les cellules situées à l’arrière ralentissent, l’information de direction se propage moins efficacement, les cellules à l’avant migrent alors de façon moins orientée, induisant un ralentissement de leur mouvement global. Ce mode de guidage cellulaire est donc une façon simple et robuste de coordonner les mouvements de différentes cellules et d’assurer ainsi l’intégrité des tissus lors de grands mouvements cellulaires, comme ceux ayant lieu au cours du développement embryonnaire. 

figure
© Arthur Boutillon & Nicolas David
Figure : A. Le mésendoderme axial (vert) migre de façon dirigée dans l’embryon (membrane des autres cellules visible en rouge). B. L’orientation de la migration est assurée par la transmission, de cellule en cellule, d’une information mécanique. Chaque cellule, en migrant, exerce une tension sur la cellule de devant, ce qui oriente la cellule de devant.


Guidance by followers ensures long-range coordination of cell migration through α-catenin mechanoperception.
Boutillon A, Escot S, Elouin A, Jahn D, González-Tirado S, Starruß J, Brusch L, David NB.
Dev Cell. 24 mai 2022. doi: 10.1016/j.devcel.2022.05.001

Sous tension : un nouveau moyen de guider un groupe de cellules en migration

Lors de l’ablation (à l’aide d’un laser) d’une protrusion cellulaire, le corps cellulaire se rétracte, démontrant que la protrusion était sous tension. © Arthur Boutillon & Nicolas David

Audiodescription

Contact

Nicolas David
Chercheur CNRS au Laboratoire d'optique et biosciences - Institut polytechnique de Paris (CNRS/Inserm/ecole polytechnique) et au professeur à l'Ecole polytechnique

laboratoire

Laboratoire d’optique et biosciences – Institut polytechnique de Paris (CNRS/Inserm/Ecole polytechnique)
Route de Saclay
91128 Palaiseau Cedex