L'ARN polymérase du SARS-CoV-2 est-elle son talon d'Achille?

Résultats scientifiques Immunologie, infectiologie

Le SARS-CoV-2, responsable de la maladie COVID19, est un coronavirus dont le matériel génétique est reproduit lors de l'infection par une ARN polymérase extraordinaire, dix fois plus rapide que celle des autres virus, mais beaucoup moins fidèle. Elle produit des erreurs qui, si elles ne sont pas corrigées, peuvent mener à des mutations. En utilisant des médicaments anti-grippaux comme l'Avigan, des chercheurs sont arrivés à lui faire accumuler de nombreuses mutations jusqu'à rendre le génome non fonctionnel. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Communications.

Le virus du SARS-CoV-2, tout comme son jumeau SARS-CoV-1 apparu en 2003, fait partie de la famille des Coronavirus, qui compte sept membres pathogènes pour l'homme. Seuls les SARS-CoV-1 et 2, et le MERS-CoV sont hautement pathogènes, mais le SARS-CoV-2 est le plus contagieux, comme on peut le constater actuellement avec les difficultés pour juguler la pandémie en cours qui approche le million de morts pour plus de 20 millions de cas.

Les coronavirus sont des virus dont le matériel génétique est de l'ARN, et un génome environ 2 à 3 fois plus grand (~30 kb) que les virus à ARN "classiques" (virus de la Dengue, Grippe, Ebola, Hépatite C, Polio). Ces génomes de coronavirus codent pour de nombreuses protéines, qui leur permettent de se protéger, lutter contre la réponse de la cellule à l'envahisseur, et de se reproduire (répliquer leur ARN).

Une protéine centrale dans ce processus de multiplication est l'ARN polymérase virale : comme elle n'a pas d'équivalent dans la cellule hôte, c'est une cible très intéressante pour les traitements qui peuvent permettre, comme dans le cas du VIH ou de l'hépatite C, de contrôler la réplication virale dès l'infection.

Pour certains virus (VIH, VHC, VHB, Herpès, Grippe...), des médicaments ciblant la polymérase virale existent. Ce sont des analogues de nucléosides (les unités de base de la réplication), qui leurrent cette enzyme: une fois intégrés dans l'ARN, ils stoppent la synthèse virale. Mais les coronavirus sont uniques à un titre : leur grand génome a sélectionné au cours de l'évolution, une exonucléase capable de réparer les dégâts causés par le médicament. Un tel analogue, le Remdesivir, résiste au moins partiellement à cette réparation, mais il est disponible uniquement par voie intraveineuse, et son dosage semble délicat.

Les scientifiques rapportent la première analyse cinétique et mécanistique détaillée de cette polymérase virale, à l'aide d'un médicament anti-grippe, l'Avigan (Favipiravir, T-705). L'Avigan est un médicament déjà sur le marché, en essai clinique depuis plusieurs mois en Russie, Chine, Iran, Inde, Japon et Etats-Unis. Il n'arrête pas la synthèse d'ARN viral, mais plutôt permet la synthèse de génomes viraux altérés génétiquement, ce qui pousse le virus vers une impasse évolutive et fonctionnelle... et produit in fine un effet antiviral via ce mécanisme "d'erreur catastrophique".

Ce faisant, les chercheurs ont ainsi découvert deux propriétés tout à fait remarquables de l'ARN polymérase du SARS-CoV-2 : pour pouvoir synthétiser ces très longs génomes, l'ARN polymérase a évolué vers une efficacité catalytique extraordinaire, pouvant atteindre des vitesses de synthèse jusqu'à dix fois supérieures aux autres polymérases virales. En même temps, ce bolide moléculaire a également évolué vers une capacité de synthèse moins précise : en conditions normales d'infection, la présence de l'exonucléase réparatrice permet de palier à cette imprécision, et de rétablir une copie fidèle du génome.

Ainsi se dessine un nouveau concept dans la conception de médicaments sur la base d'analogues de nucléosides : peut-être vaut-il mieux profiter de cette propriété extraordinaire, leurrer l'enzyme en lui faisant synthétiser du "grand n'importe-quoi génétique", et laisser le virus se "sur-muter" lui-même jusqu'à qu'il en meure... plutôt que d'essayer d'arrêter à la fois la synthèse et la réparation virale.

Plus généralement, l'acquisition de ces capacités de synthèse extraordinaires pose de nombreuses questions sur l'évolution de la taille des génomes des virus à ARN : un complexe réplicatif rapide et multifonctionnel aurait-il permis l'accroissement des capacités d'acquisition de gènes chez ces virus ? La similarité frappante avec des génomes de petits virus à ADN, cette fois, nous suggère que les coronavirus pourraient représenter un modèle d'étude particulièrement intéressant pour comprendre comment les organismes vivants ont basculé, il y a fort longtemps, vers des génomes à ...ADN.

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© Ashleigh Shannon

Figure: Modèle d'action du Favipiravir

 

Pour en savoir plus:

The Favipiravir antiviral mechanism of action against SARS-CoV-2: Lethal mutagenesis mediated by a fast and permissive viral RNA polymerase complex.
Shannon A, Selisko B, Le N, Huchting J, Touret F, Piorkowski G, Fattorini V, Ferron F, Decroly E, Meier C, Coutard B, Peersen O & Canard B.
Nature Communications, 17 Sept 2020.  https://doi.org/10.1038/s41467-020-18463-z

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Contact

Bruno Canard
Chercheur CNRS au Centre architecture et fonctions des macromolécules biologiques (AFMB)

Laboratoire

Architecture et fonctions des macromolécules biologiques (AFMB) - (CNRS/Aix-Marseille Université)
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