Un engramme ocytocinergique pour apprendre et contrôler sa peur

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Une étude internationale vient de démontrer pour la première fois l’existence d’un engramme, trace biologique de la mémoire, constitué de neurones ocytocinergiques appartenant à une structure évolutivement ancienne, l’hypothalamus. Ces neurones projettent exclusivement à l’amygdale, une région fortement impliqué dans la régulation émotionnelle, afin de moduler les réactions de peur. Ces résultats sont détaillés dans un article publié dans la revue Neuron.

1 Nos souvenirs définissent qui nous fûment mais aussi qui nous sommes et qui nous serons. L'idée d’une représentation physique de la mémoire remonte à il y a plus de 2000 ans. En 350 av. J.-C., Aristote théorisait que « le processus de stimulation sensorielle marque une sorte d'impression du percept, juste comme un sceau laisse son empreinte dans une cire chaude ». Cette idée a progressivement menée vers l’hypothèse selon laquelle des ensembles de cellules, organisés et sélectivement activés, forment les blocs de base de la trace mnésique, l’engramme.

Cette hypothèse constitue aujourd’hui un champ majeur d’investigations, guidant l’étude des mécanismes cellulaires et moléculaires sous-jacents à l’encodage et la préservation de la mémoire. Le cerveau est l’organe le plus complexe qui soit, ayant évolué sur des centaines de millions d’années à partir de simples réseaux de neurones responsables de comportements simples, comme orchestrer la survie en évitant l’exposition au danger. La mémoire jouant un rôle clef dans la survie de l’individu, les constellations de cellules, interagissant entre elles pour former des engrammes, pourraient être évolutivement très anciennes.

Pourtant, à ce jour, le dogme prédominant veut que la mémoire soit encodée dans l’hippocampe pour être ensuite stockée dans le cortex. Cette vision limitée ne prend que peu en considération les autres structures cérébrales, particulièrement celles évolutivement plus anciennes pouvant effectuer une réorganisation dynamique des circuits anatomiques et fonctionnels soutenant la formation et le stockage de la mémoire.

Dans cette étude, les chercheurs démontrent que des engrammes sont susceptibles de se former dans des structures comme l’hypothalamus. Pour ce faire, ils se sont intéressés aux neurones produisant l’ocytocine, un neuropeptide fortement impliqué dans la régulation des émotions, incluant la douleur et la peur. A l’aide d’une nouvelle méthode de ciblage génétique, permettant de cibler spécifiquement les neurones ocytocinergiques activés lors de l’une réaction de peur, les auteurs ont découvert la formation et l’intégration d’engrammes hypothalamiques dont la manipulation altère drastiquement l’expression et le souvenir d’une peur. En effet, l’activation optogénétique (en utilisant un effecteur photosensible)  de ces cellules gomme entièrement l’expression de la peur tandis que l’inhibition chémogénétique (en utilisant un effecteur chimique)  de cet engramme bloque son extinction, induisant donc sa persistance.

Par ailleurs, ces neurones font preuve d’une étonnante plasticité, transitant d’une transmission lente médiée par le neuropeptide ocytocine vers une communication beaucoup plus rapide, via la sécrétion de glutamate. Cette découverte marque un changement de paradigme, appelant à explorer plus avant l’existence et l’intégration des engrammes dans les différentes régions cérébrales pour mieux comprendre les circuits anatomiques et fonctionnels sous-jacents aux émotions. telle que la peur dans les troubles de stress post-traumatiques.

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Figure : Images de microscopie à fluorescence montrant en vert les neurones ocytocinergiques de l’hypothalamus (noyau paraventriculaire en haut ; noyau supraoptique en bas), ainsi qu’un axone ocytocinergique présent au sein de l’amygdale centrale (à droite). Les neurones activés lors d’un épisode de peur sont les seuls à présenter une fluorescence rouge, apparaissant ainsi en jaune sur les images.

© A. Charlet & V. Grinevich

 

Pour en savoir plus :

Fear Memory Engram and its Plasticity in the Hypothalamic Oxytocin System.
Hasan MT1 , Althammer F1 , Silva da Gouveia M1 , Goyon S1 , EliavaM, Lefevre A, Kerspern D, Schimmer J, Raftogianni A, Wahis J, Knobloch-Bollmann HS, Tang Y, Liu X,Jain A, Chavant V,Goumon Y, Weislogel J-M, HurlemannR, Herpertz SC, Darbon P,Dogbevia GK,Bertocchi I, Larkum ME,Sprengel R, Bading H, Charlet A2
, Grinevich V2 . (2019).

Neuron, in press. DOI : https://doi.org/10.1016/j.neuron.2019.04.029

 

  • 1 a b c d e Co-first authors
  • 2 a b Corresponding and Co-senior authors

Contact

Alexandre Charlet
Chercheur CNRS à l'Institut des neurosciences cellulaires et intégratives (INCI)