Un canal ionique à l’origine des céphalées par abus médicamenteux

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

La migraine est une pathologie qui touche environ 7 millions de personnes en France, majoritairement les femmes. La surconsommation d’antalgiques ou d’antimigraineux peut transformer les migraines épisodiques en migraines chroniques. Dans un article publié dans la revue Nature Communications, les chercheurs ont montré que les céphalées par surmédication résultaient de l’hypersensibilité du canal sodique Nav1.9 au monoxyde d’azote, un gaz qui peut être libéré par l’ingestion d’aliments riches en nitrates.

La migraine est une pathologie qui touche 12% de la population française soit environ 7 millions de personnes. C’est une maladie chronique invalidante qui altère la qualité de vie des personnes atteintes, avec un retentissement sur leurs relations affectives et leurs activités professionnelles. Les femmes sont 2 à 3 fois plus touchées que les hommes. Dans sa forme commune (migraine sans aura), la migraine est une affection polygénétique multifactorielle qui combine facteurs génétiques et environnementaux.

Son retentissement dans la vie quotidienne, professionnelle et personnelle, est important, que ce soit en termes de consommation médicamenteuse ou d’arrêt de travail. Bien que depuis une dizaine d’années l’arsenal thérapeutique se soit considérablement enrichi, environ 50 % des migraineux pratiquent encore l’automédication, avec des succès le plus souvent mitigés.La crise de migraine est provoquée par de nombreux facteurs, alimentaires (chocolat, l’alcool, le café), psychologiques (contrariétés, anxiété, stress), hormonaux (pilule contraceptive) et sensoriels (bruit et odeurs). L'efficacité des analgésiques non narcotiques et des anti-inflammatoires non stéroïdien est souvent limitée. On a donc recours à des substances antimigraineuses dites spécifiques comme le sumatriptan, un agoniste des récepteurs sérotoninergiques. Pourtant près d'un tiers des migraineux qui répondent au sumatriptan ont une récurrence de la céphalée dans les 24 à 48 heures. Pour combattre cela, les patients prennent de plus en plus de médicaments contre la douleur, ce qui aggrave leur état. La surconsommation d’antalgiques ou d’antimigraineux spécifiques favorise la survenue d’une céphalée chronique en devenant un véritable facteur d’auto-entretien de l’état céphalalgique.

Les chercheurs sont parvenus à identifier les mécanismes moléculaires à l’origine des céphalées induites par abus médicamenteux. Ils ont montré que l’administration chronique de sumatriptan à des animaux modifiait le seuil de détection des nocicepteurs méningés au monoxyde d’azote (NO). Le NO est bien connu pour être un déclencheur de migraine chez les migraineux et provoque des céphalées chez les non-migraineux. Il est produit par les fibres nerveuses périvasculaires, les  cellules  endothéliales et certaines bactéries intestinales après l’ingestion d’aliments riches en nitrates (chocolat, vin etc.). Les chercheurs ont montré que le canal sodique Nav1.9, qui régule l’excitabilité des nocicepteurs méningés, est anormalement activé par le NO chez les animaux traités au sumatriptan. L’activation du canal induit une hyperexcitabilité des nocicepteurs méningés à l’origine du message douloureux et une libération de médiateurs neuronaux conduisant à la vasodilation des artères méningées et à la dégranulation des mastocytes. En retour les médiateurs mastocytaires (histamine, prostaglandine) activent le canal Nav1.9 ; s’en suit un cercle vicieux d’amplification de la douleur et d’inflammation dans les méninges.

Ces résultats montrent que les céphalées par abus médicamenteux résultent d’une hypersensibilité des nocicepteurs au NO et ouvrent la porte à de nouvelles approches pour le ­traitement de ­la migraine, basées sur l’association des médications antimigraines avec des bloqueurs des canaux Nav1.9. 

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©Nancy Osorio & Patrick Delmas
Figure : Le canal Nav1.9 : un HUB à l’origine des céphalées par abus médicamenteux. Le monoxyde d’azote (NO) active fortement les canaux Nav1.9 des nocicepteurs méningés chez les animaux traités au sumatriptan. Son activation induit un état d’hyperexcitabilité neuronale à l’origine de la libération de médiateurs dont le CGRP (calcitonine gene related peptide) un marqueur de la crise de migraine. Cette libération induit une vasodilatation des vaisseaux méningés et une dégranulation mastocytaire. En retour, les médiateurs mastocytaires (histamine et prostaglandine) renforcent l’activation des canaux Nav1.9, générant une boucle d’inflammation stérile qui amplifie et maintien la céphalée.


Pour en savoir plus
Maladaptive activation of Nav1.9 channels by nitric oxide causes triptan-induced medication overuse headache.

Bonnet C, Hao J, Osorio N, Donnet A, Penalba V, Ruel J, Delmas P.
Nat Commun. 2019 Sep 18;10(1):4253. doi: 10.1038/s41467-019-12197-3.

Contact

Patrick Delmas
Chercheur CNRS au Laboratoire de neurosciences cognitives (LNC) - (CNRS / Univ Aix-Marseille)