Quand les contractions musculaires déterminent la forme d'un ver

Résultats scientifiques Développement, évolution

Une des étapes clés du développement embryonnaire est l’acquisition de la forme finale de l’organisme qui soulève la question de la coordination de la morphogenèse des différents tissus et organes. Si la communication entre les cellules se fait le plus souvent par des voies biochimiques, des forces mécaniques contribuent également à la morphogenèse. Une telle voie de mécanotransduction vient d’être décryptée dans un article paru dans la revue Current Biology où les chercheurs démontrent que l’axe d’élongation de l’embryon est contrôlé par les contractions musculaires.

L'acquisition de la forme définitive d'un être vivant, la morphogenèse, est un des processus les plus fascinants de la biologie du développement. Que ce soit pour donner naissance à un séquoia, une libellule, une girafe ou un être humain, la morphogenèse doit être étroitement contrôlée afin d'orchestrer le développement harmonieux d'un individu. Pour coordonner le développement des différents tissus et organes, des voies de signalisation permettent aux cellules de communiquer entre elles. Les voies les plus connues (Hedgehog, Wnt, Notch, etc…) sont de nature biochimique et sont conservées chez la plupart des animaux.

Cependant, des voies de signalisation biomécaniques jouent également un rôle déterminant, bien qu'étudié depuis moins longtemps. On savait que chez le nématode Cænorhabditis elegans, les contractions des muscles contrôlent la formation de structures qui traversent un deuxième tissu, l’épiderme dorso-ventral, pour accrocher les muscles à la cuticule ; les nématodes ayant un exosquelette, ces structures sont des tendons qui permettent aux muscles de contrôler les mouvements de l'animal, tout comme les muscles sont attachés aux os par des tendons chez les mammifères. Cependant le fait de bloquer les contractions musculaires ou la formation des tendons entraine un arrêt à mi-élongation, alors que la perte de cette nouvelle voie de mécanotransduction n'induit pas d'arrêt de l'élongation. On peut donc supposer que les contractions musculaires contrôlent d'autres aspects de la morphogenèse à mi-élongation. Il se trouve que c’est à ce stade que l'actine localisée dans un troisième tissu, l’épiderme latéral, s'oriente dans l'axe dorso-ventral. Or les chercheurs ont observé que le blocage des contractions musculaires entraine une mauvaise orientation de l'actine qui se retrouve soit désorganisée soit, dans les cas les plus extrêmes, décalée de 90°. Cela entraine une élongation anarchique des cellules de l’épiderme latéral et contribue de façon déterminante à l’arrêt de l’élongation.

Il restait à savoir comment les contractions musculaires relayées par les tendons influençent l’organisation de l’actine dans des cellules qui n'ont aucun contact direct avec les muscles. Les chercheurs ont pu montrer que le signal est d’abord transmis par les jonctions d’adhérence qui lient les cellules de l’épiderme entre elles. Sous le contrôle de ce signal, des molécules bien connues pour contrôler la polarité cellulaire, le module PAR, s'accumulent préférentiellement sur certaines membranes dont l'actine est exclue. Bloquer les contractions musculaires empêche les protéines PAR de se polariser correctement, ce qui induit un basculement de l’organisation de l’actine et de l’axe d’élongation des cellules.

Ces observations permettent de proposer l’identification d’une nouvelle voie de mécanotransduction entre trois tissus : les contractions musculaires sont relayées par les tendons dans l'épiderme dorso-ventral ; ces déformations physiques sont ensuite transmises par les jonctions et contrôlent la polarisation des protéines PAR dans un troisième tissu, l'épiderme latéral, ou finalement l'actine s'oriente correctement pour contribuer à l'élongation de C. elegans dans l'axe antéro-postérieur. Un seul signal mécanique contrôle donc deux voies de signalisation : l'une qui renforce la formation des tendons et l'autre qui organise le cytosquelette de cellules plus distantes.

Des défauts dans les voies de mécanotransduction peuvent conduire à de nombreuses pathologies. Il est cependant trop tôt pour savoir si cette nouvelle voie de signalisation pourrait être retrouvée dans des organismes plus complexes, jusque chez l'Homme. On sait cependant que des cellules musculaires sont souvent situées sous des cellules épithéliales comme celles de la peau ou de l'intestin et les contractions de ces cellules musculaires pourraient contribuer à organiser ces cellules épithéliales. De même, il sera intéressant de voir si on retrouve au moins certains des éléments identifiés ici dans d'autres voies de signalisation biomécaniques.

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Figure : Les contractions musculaires contrôlent l’organisation de l’actine dans l’épiderme. A) Schéma de l’élongation. Au début de l’élongation (à gauche) les protéines PAR (jaune) sont distribuées de façon homogène au niveau des jonctions d’adhérence (bleu clair) dans l’épiderme latéral (violet), et l’actine (vert) est désorganisée. Après le début des contractions musculaires (à droite) les protéines PAR sont polarisées de façon planaire et l’actine orientée dans l’axe dorso-ventral. B) Voie de signalisation. Les cellules musculaires (rouge) sont organisées en rangées du pôle antérieur au pôle postérieur de l’animal, sous l’épiderme dorsoventral (gris). Au cours de l’élongation les tendons (bleu) se mettent en place, connectant physiquement les muscles à l’épiderme dorsoventral. Lorsque les muscles se contractent le signal est transmis jusqu’à l’épiderme latéral par les jonctions. Cela permet de polariser les protéines PAR et d’orienter l’actine. Le signal est donc transmis d’abord de l’intérieur de l’embryon vers l’extérieur, puis dans le plan de l’épiderme.
© Grégoire Michaux

 

En savoir plus
Force Transmission between Three Tissues Controls Bipolar Planar Polarity Establishment and Morphogenesis.

Gillard G, Nicolle O, Brugière T, Prigent S, Pinot M, Michaux G.
Curr Biol. 2019 Mar 8. pii: S0960-9822(19)30262-3. doi: 10.1016/j.cub.2019.02.059. [Epub ahead of print]

A voir aussi
L'article présenté par l'Université Rennes 1

 

Contact

Grégoire Michaux
Chercheur CNRS à l'Institut de génétique et développement de Rennes (CNRS/Université de Rennes 1)