"Je mange donc je suis": le cerveau des primates, reflet de leur alimentation

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Comment ont évolué les capacités neuro-cognitives liées à la recherche de nourriture chez les primates ? Une étude publiée dans la revue Cortex, combinant neurosciences et écologie chez 5 espèces de primates incluant l’homme, montre que la diversité du régime alimentaire a joué un rôle clé dans l’expansion du cortex préfrontal ventromédian. Cette région cérébrale impliquée dans la prise de décision et la mémoire permettrait aux primates de développer des stratégies de recherche de nourriture adaptées aux variations saisonnières et spatiales des ressources alimentaires.

Comment a évolué la cognition des primates ? Quels facteurs ont participé aux modifications du cerveau et des capacités neuro-cognitives liées à la recherche de nourriture ? Pour tenter de répondre à ces questions, une équipe pluridisciplinaire a mené une étude combinant écologie et neurosciences. Jusqu’ici, les recherches sur ce sujet avaient quasi exclusivement utilisé la taille globale du cerveau pour estimer la capacité des primates à développer des stratégies de recherche de nourriture complexes. Pourtant, les recherches récentes en écologie et en neurosciences soulignent les limites d’une telle approche globale et indiquent que la plupart des fonctions mentales impliquent des régions cérébrales précises et délimitées, plutôt que l’ensemble du cerveau. Par ailleurs, les fonctions de ces régions cérébrales étant souvent définies au laboratoire, dans des conditions artificielles, leur rôle écologique, en conditions naturelles, n’est généralement basé que sur des suppositions. 

Dans cette nouvelle étude comparative incluant cinq espèces de primates dont l’Homme, les chercheurs se sont donc focalisés sur le cortex préfrontal ventro-médian, une région cérébrale impliquée dans la prise de décision et la mémoire, pour évaluer son rôle dans la recherche de nourriture. Les chercheurs montrent que l’expansion du cortex préfrontal ventro-médian est directement reliée à la diversité du régime alimentaire. L’accroissement de cette région pourrait permettre aux primates de développer des stratégies de recherche de nourriture complexes et adaptées aux variations saisonnières et spatiales des ressources alimentaires. En effet, certains aliments comme les fruits ne sont disponibles dans l’environnement qu’à des endroits précis et à certaines périodes de l’année. Ainsi, les espèces de primates ayant un régime alimentaire plus diversifié, incluant notamment des fruits, pourraient avoir besoin de capacités cognitives importantes afin de prendre des décisions en fonction des coûts et des bénéfices attendus, comparées notamment à des espèces folivores qui ont un accès plus facile aux ressources.

Ces résultats sont d’autant plus importants qu’ils sont spécifiques i.e. que la relation neuro-écologique décrite dans cet article est plus forte pour cette région d’intérêt que pour le cerveau entier ou pour la région cérébrale impliquée dans la perception du corps (cortex somato-sensoriel). Les chercheurs vont maintenant étendre cette étude chez des fossiles de la lignée humaine afin de mieux comprendre la réorganisation cérébrale et cognitive liée à la recherche de nourriture au cours de l’évolution humaine.

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Figure : Délimitation des régions cérébrales d’intérêt chez 5 espèces de primates. Ces régions ont été délimitées sur des images de cerveau obtenues par imagerie par résonance magnétique. Vues en coupes coronales (gauche) et sagittales (droite) du cerveau d’un individu représentatif de chacune des espèces. On a délimité 2 régions : le cortex préfrontal ventromédian (CPFVM, en rouge) et le gyrus rectus (en jaune). Le CPFVM est la région d’intérêt, impliquée dans la prise de décision et la mémoire. Le gyrus rectus est une circonvolution bien visible qui inclut le CPFVM, et qui a servi de référence. En effet, la diversité du régime alimentaire à travers les 5 espèces ne permet d’expliquer que la taille relative du CPFVM, mais pas celle du gyrus rectus. 

© Sebastien Bouret, Cecile Garcia, Sandrine Prat

 

Pour en savoir plus :

Refining the ecological brain: Strong relation between the ventromedial prefrontal cortex and feeding ecology in five primate species.
Louail M, Gilissen E, Prat S, Garcia C, Bouret S.

Cortex. 2019 Apr 4. pii: S0010-9452(19)30135-2. doi: 10.1016/j.cortex.2019.03.019. [Epub ahead of print]

Contact

Sebastien Bouret
Chercheur CNRS à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) - (CNRS/Inserm/Sorbonne Université)