Le plancton eucaryote dans l’océan mondial : le dessous des cartes

Résultats scientifiques Génétique, génomique

Le plancton eucaryote est une composante essentielle et extrêmement diversifiée des écosystèmes marins. A l’aide de données ADN issues du projet Tara Océans et d’un modèle probabiliste, les scientifiques ont établi sa distribution géographique mondiale dans une étude parue dans la revue Science. D’importantes variations de structure géographique ont été mises en évidence entre groupes planctoniques selon leur diversité ainsi que selon la taille et l’écologie des organismes, variations pouvant être reliées à l’influence plus ou moins forte de l’environnement sur ces organismes.

Le plancton océanique eucaryote produit 50% de l’oxygène que nous respirons, est à la base des chaînes alimentaires océaniques, et joue un rôle clé dans les flux biogéochimiques tel que la séquestration du CO2 atmosphérique dans les sédiments marins. Pourtant sa distribution géographique (sa « biogéographie ») reste mal connue du fait de la grande diversité du plancton eucaryote et de la difficulté d’accès à son habitat. Le plancton eucaryote est en effet remarquablement diversifié à la fois sur le plan taxinomique (diversité en espèces), phylogénétique (diversité évolutive) et écologique (diversité fonctionnelle). L’étude de la biogéographie du plancton et de ses déterminants est également compliquée par le fait que le plancton est perpétuellement en mouvement, transporté passivement par les courants océaniques.

Dans le cadre d'une collaboration internationale, les scientifiques ont étudié la biogéographie du plancton eucaryote à l’échelle mondiale, à partir de données ADN issues d’échantillons récoltés par la goélette d’exploration océanique Tara entre 2009 et 2013. Environ 250 000 espèces de plancton eucaryote, ou plus exactement « taxons moléculaires », ont pu être distinguées dans ces échantillons sur la base d’une courte séquence d’ADN reflétant leur distance évolutive. L’analyse des données de présence de ces taxons à travers le globe à l’aide d’un modèle probabiliste a révélé une grande différence dans la composition des communautés entre les régions au dessus de 45° de latitude Nord et Sud et le reste de l’océan mondial, où de nombreux taxons sont ubiquistes. À une échelle plus fine, des différences ont également été mises en évidence au sein de ces trois grandes régions selon la latitude et le bassin océanique.

Afin de prendre en compte la grande diversité du plancton eucaryote, les chercheurs se sont ensuite intéressés aux variations de biogéographie entre groupes planctoniques en fonction de leur écologie. En comparant la biogéographie des 70 principaux groupes de plancton eucaryote, ils ont mis en évidence une importante variabilité suivant deux axes principaux. Le long du premier axe, les groupes dont la diversité en espèces est la plus grande sont davantage spatialement structurés à l’échelle mondiale. Le long du second axe, les groupes composés d’organismes de plus grande taille (jusqu’à plusieurs millimètres) et plus hauts dans la chaîne alimentaire sont structurés par bassin océanique et à plus grande échelle spatiale, tandis que ceux composés d’organismes de plus petite taille (jusqu’à quelques micromètres) et plus bas dans la chaîne alimentaire sont structurés par la latitude et à plus petite échelle spatiale.

Pour comprendre les mécanismes à l’œuvre derrière ces variations, les chercheurs ont enfin comparé la biogéographie des différents groupes planctoniques à des données environnementales et à un modèle de circulation océanique. Les résultats de cette comparaison suggèrent que les courants océaniques influencent fortement la biogéographie du plancton eucaryote, et que les variations le long du second axe entre groupes de taille différente peuvent s’expliquer par une influence relative plus ou moins forte des conditions environnementales locales, les producteurs primaires de petite taille y étant plus sensibles que les zooplanctons de grande taille.

L’avènement d’approches automatisées pour mesurer la biodiversité, basées sur la génétique ou l’imagerie satellite, permet désormais l’accumulation de données à une échelle sans précédent. En dévoilant la structure géographique du plancton eucaryote dans toute sa diversité et à l’échelle mondiale, cette étude illustre les possibilités ouvertes par la combinaison de telles données avec de nouvelles approches de modélisation statistique adaptées. L’essor de ce type d’effort interdisciplinaire devrait permettre le développement de modèles plus réalistes de la biodiversité en interaction avec le climat et les flux biogéochimiques.

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© Guilhem Sommeria-Klein & Hélène Morlon
Figure : (A) Variabilité biogéographique entre groupes de plancton eucaryote suivant les deux principaux axes de variation. Chaque point représente un groupe planctonique, et la distance entre deux groupes décroît avec la similarité de leurs biogéographies. Les groupes sont d’autant plus structurés spatialement qu’ils se trouvent sur la droite du premier axe. Les groupes situés en haut du second axe sont structurés à plus grande échelle spatiale et suivant les bassins océaniques, tandis que ceux situés en bas sont structurés à plus petite échelle spatiale et suivant la latitude. La grosseur et la couleur des points varient suivant la diversité du groupe et la taille moyenne des organismes qui le composent. (B et C) Biogéographie des cordés, un groupe de zooplanctons de grande taille, et des mamiellophycées, un groupe d’algues unicellulaires.

Pour en savoir plus : 
Global drivers of eukaryotic plankton biogeography in the sunlit ocean.
Sommeria-Klein G, Watteaux R, Ibarbalz FM, Pierella Karlusich JJ, Iudicone D, Bowler C, Morlon H.
Science. 2021 Oct 29. doi: 10.1126/science.abb3717

Contact

Hélène Morlon
Chercheuse CNRS à l'Institut de biologie de l'Ecole normale supérieure (École Normale Supérieure/CNRS, Inserm/Université PSL)
Guilhem Sommeria-Klein
Postdoctorant à l'Université de Turku

laboratoires

IBENS  (École Normale Supérieure/CNRS, Inserm/Université PSL)
45 rue d'Ulm

75005 Paris

Department of Computing, University of Turku
Yliopistonmäki,
20014 Turku, Finland