Énergiser ses neurones : l’astrocyte donne le LA(ctate)

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Le glucose a toujours été considéré comme le principal substrat pouvant fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement des neurones et à l’activité cérébrale. Des données récentes montrent au contraire que le lactate, formé par les astrocytes et transféré aux neurones, est essentiel pour obtenir les signaux caractéristiques de l’activation cérébrale ainsi que pour accomplir une tâche comportementale. Ces résultats sont publiés dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.

Depuis déjà longtemps, le glucose est reconnu comme le principal substrat énergétique permettant de soutenir l’activité des neurones, puis par extension d’assurer le maintien des fonctions cognitives, comme l’apprentissage et la mémoire. Ce dogme dans le domaine de l’énergétique cérébrale est demeuré incontesté jusqu’au milieu des années 90. Sur la base d’expériences conduites uniquement in vitro, des chercheurs ont suggéré une alternative surprenante. En effet, ils ont montré que les astrocytes avaient la capacité non seulement de détecter l’activité des neurones, mais de l’associer à la production de lactate à partir du glucose extracellulaire. De ces observations est né le concept de la navette lactate, ou astrocyte-neuron lactate shuttle (ANLS en anglais) qui propose que le lactate produit par les astrocytes soit transféré aux neurones pour contribuer au soutien de leur activité. Une autre avancée, soutenant ce concept, fut de montrer que ce lactate, jusqu’alors considéré comme un déchet métabolique, pouvait constituer un substrat énergétique utilisé efficacement par les neurones.

Bien que de nombreuses évidences accumulées au cours des dernières années semblent soutenir l’existence de cette navette, le sujet demeure controversé. Le point critique est de pouvoir démontrer que ce transfert de lactate entre astrocytes et neurones 1) est bien réel in vivo, et 2) est nécessaire à l’activation et à la fonction cérébrale. Pour cela, un modèle a été mis au point chez le rat adulte. L’expression de certains transporteurs aux monocarboxylates, responsables du transport de lactate, a été réprimée de manière sélective, soit dans les astrocytes, soit dans les neurones. Cette répression a été réalisée dans la zone dite des tonneaux (cortex somatosensoriel), région cérébrale impliquée dans la détection des objets via l’utilisation des moustaches (ou vibrisses) du rat. Sur ces animaux modifiés génétiquement, de la spectroscopie in vivo, de l’imagerie fonctionnelle et une tâche cognitive, ciblant toutes cette même zone cérébrale (liée à la stimulation des vibrisses), ont été réalisées. Lorsque le transporteur au lactate neuronal est réprimé, les résultats indiquent clairement que les signaux du couplage neurométabolique (augmentation du lactate en spectroscopie RMN fonctionnelle in vivo) et du couplage neurovasculaire (signal dépendant du niveau d’oxygénation cérébrale "BOLD" en IRM fonctionnelle) sont perdus. D’autre part, la capacité des animaux à discriminer des objets grâce à leurs vibrisses est aussi complètement altérée (perte de reconnaissance entre deux objets identiques de textures différentes). La répression du transporteur au lactate astrocytaire, quant à elle, induit une perte du couplage neurométabolique, mais seulement une perte partielle du couplage neurovasculaire (et de la fonction), signal BOLD qui peut être restauré lors de perfusion de lactate.

Ces travaux mettent en lumière le rôle clé des astrocytes et de la navette lactate in vivo dans l’origine des signaux d’imagerie fonctionnelle et dans le soutien des fonctions cérébrales. Ces données suggèrent également que, dans les pathologies cérébrales où le métabolisme est altéré (comme dans les maladies neurodégénératives), le rôle des astrocytes mérite toute notre attention.

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© Anne-Karine Bouzier-Sore
Figure : IRM fonctionnelle lors de la stimulation des vibrisses droites de l’animal, qui conduit à un signal positif chez les animaux contrôles. Ce signal est complètement perdu chez les rats dont le transporteur au lactate neuronal (MCT2) a été réprimé dans le cortex somatosensoriel. Lorsque c’est le transporteur au lactate astrocytaire qui est réprimé (MCT4), la moitié des animaux garde un signal d’IRM fonctionnelle positif alors qu’il est perdu pour l’autre moitié et peut être restauré avec une perfusion de lactate. Ceci montre que l’entrée dans les neurones du lactate (provenant des astrocytes, ou compensé par un apport périphérique) est essentielle pour obtenir les signaux d’imagerie fonctionnelle cérébrale, et suggère donc le rôle clé du lactate pour l’activité neuronale. Les signaux en IRMf corrèlent avec la fonction (discrimination ou non de deux objets identiques mais de textures différentes).

Pour en savoir plus :
Lactate transporters in the rat barrel cortex sustain whisker-dependent BOLD fMRI signal and behavioral performance
Hélène Roumes, Charlotte Jollé, Jordy Blanc, Imad Benkhaled, Carolina Piletti Chatain, Philippe Massot, Gérard Raffard, Véronique Bouchaud, Marc Biran, Catherine Pythoud, Nicole Déglon, Eduardo R. Zimmer, Luc Pellerin & Anne-Karine Bouzier-Sore.
Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 15 novembre 2021.
https://doi.org/10.1073/pnas.2112466118

Contact

Anne-Karine Bouzier-Sore
Chercheuse au CNRS au Centre de Résonance Magnétique des Systèmes Biologiques (CRMSB)

laboratoire

CRMSB (Université de Bordeaux/CNRS)
146 rue Léo Saignat
33076 Bordeaux Cedex