Une origine ventrale pour le système nerveux dorsal des vertébrés ?

Résultats scientifiques Développement, évolution

Le système nerveux périphérique des vertébrés provient de la crête neurale et des placodes ectodermiques, structures embryonnaires qui n'existent pas chez les autres animaux. Ces formations transitoires se développent en étroite association avec le système nerveux central dans la partie dorsale de l'embryon. En comparant les programmes génétiques régulant la formation du système nerveux périphérique chez deux espèces d'invertébrés marins proches des vertébrés, l'ascidie et l'amphioxus, les scientifiques suggèrent, dans la revue BMC Biology, une origine évolutive inattendue pour le système nerveux périphérique des vertébrés: la partie ventrale, à l'opposé de l'embryon.

Au cours de l'évolution, les vertébrés se sont distingués de leurs cousins invertébrés les plus proches (amphioxus et ascidies) par l'acquisition de caractères uniques. Par exemple, la crête neurale, qui n'existe que durant la vie embryonnaire, participe à la formation de nombreuses structures adultes telles que le système nerveux périphérique, mais aussi une partie de la peau et des muscles. Des défauts dans sa formation sont à l'origine de nombreux défauts congénitaux. La crête neurale se forme dans la partie dorsale de l'embryon, à la bordure du système nerveux central. Les mécanismes embryologiques et génétiques qui régulent la formation de cette structure ont été étudiés en détail chez plusieurs espèces de vertébrés, et apparaissent conservés.

Les ascidies et l'amphioxus sont des invertébrés marins utilisés comme modèles en écologie, biologie cellulaire, biologie du développement et évolution. Comme ce sont les invertébrés les plus proches phylogénétiquement des vertébrés, ils partagent avec ces derniers la présence d'une notochorde et d'un système nerveux central dorsal au cours du développement. Ces caractères unifient l'ensemble de ces animaux dans le groupe des chordés. Le système nerveux périphérique des chordés invertébrés est beaucoup plus simple que celui des vertébrés. Il est constitué de neurones sensoriels présents au sein de l'épiderme au stade larvaire. Une population particulière de neurones, le vPNS, est présente chez les deux groupes, et est vraisemblablement d’origine commune (homologue). Le vPNS est spécifié en deux étapes: induction de l'ectoderme ventral en territoire neurogénique par la voie de signalisation BMP, puis spécification de certaines cellules en neurones par la voie de signalisation Notch. Ces cellules se différencient en neurones mécanosensoriels de phénotype glutamatergique. L'absence de vPNS chez les vertébrés et les relations phylogénétiques au sein de chordés suggèrent le scénario évolutif suivant: le vPNS est un caractère ancestral chez les chordés, et il a été perdu chez les vertébrés.

Les scientifiques ont entrepris de reconstruire et comparer les réseaux géniques régulant la formation du vPNS en utilisant l'ascidie Phallusia mammillata et l'amphioxus Branchiostoma lanceolatum. En combinant des approches fonctionnelles sur embryon (traitements pharmacologiques, embryologie classique), du RNA-seq et de la phylogénie, ils ont pu identifier de nouveaux marqueurs moléculaires du vPNS et proposer des réseaux d'interactions potentielles. Même si la structure globale de ces réseaux géniques est assez similaire entre ascidie et amphioxus, le nombre de gènes en commun est relativement faible. Cette observation peut s'expliquer par le fait que les deux lignages se sont séparés il y a 600 millions d'années, d'autant plus que les ascidies sont connues comme ayant subi une évolution accélérée qui conduit à une dérive des mécanismes développementaux.

De manière intéressante, la très grande majorité des gènes du vPNS identifiés dans cette étude sont exprimés, chez les vertébrés, dans le système nerveux périphérique en développement. Cette observation suggère que le réseau génique du vPNS, ancestralement déployé dans la partie ventrale de l'embryon, a été recruté dorsalement pour contribuer à l'émergence du système périphérique des vertébrés.

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© Sébastien Darras

Figure : L'arbre phylogénétique simplifié des chordés met en évidence les relations entre les trois lignages (amphioxus, ascidies et vertébrés). Des schémas stylisés représentent les formes adultes (en gris clair au centre) et embryonnaires (à droite). Sur les schémas d'embryons, sont représentés le système nerveux central dorsal (en gris foncé), le système nerveux périphérique dorsal (en bleu) et le vPNS (système nerveux périphérique ventral, en rouge).

Pour en savoir plus :
Highly distinct genetic programs for peripheral nervous system formation in chordates.
Chowdhury R., Roure A., le Pétillon Y. , Mayeur H, Daric V & Darras S.
BMC Biology 27 juin 2022  https://doi.org/10.1186/s12915-022-01355-7

Contact

Sébastien Darras
Directeur de recherche CNRS au Laboratoire de Biologie intégrative des organismes marins (BIOM)

Laboratoire

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