Nos adaptations motrices sont stockées dans le cervelet

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

Adapter nos mouvements suite à des blessures ou des entrainements intensifs est possible grâce au traitement et au stockage d’une multitude d’informations sensorielles, proprioceptives et motrices par le cortex cérébelleux. En cartographiant les connexions synaptiques dans le cervelet de souris entrainées ou lésées, les scientifiques montrent que les réseaux neuronaux du cortex cérébelleux stockent les adaptations sensorimotrices spécifiques à chaque individu.  Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Communications.

L’adaptation de nos comportements à notre environnement est essentielle pour notre survie. S’adapter engage une grande partie de notre cerveau. En effet, la dynamique de réseaux neuronaux de multiples zones du cerveau, en particulier le cortex cérébelleux traite et combinent les données issues de l’environnement ainsi que les informations proprioceptives issues de notre propre corps. Ces calculs sont utilisés pour prédire le résultat de nos actions afin de d’anticiper ou de corriger nos mouvements et les rendre rapides et efficaces. Ainsi, pour réaliser cette prédiction, nous faisons l’hypothèse que les cartes neuronales du cervelet stockent les coordonnées de nos muscles en fonction du contexte moteur dans lequel nous évoluons. Le stockage serait rendu possible par la modification de la force des connexions entre les cellules du cortex cérébelleux, en particulier les synapses entre les cellules en grain et les cellules de Purkinje qui représentent plus de la moitié des synapses de l’ensemble du cerveau. 

Les scientifiques ont cherché à tester cette hypothèse chez la souris dans différents contextes locomoteurs: lorsque les animaux sont entrainés à galoper dans une roue, après avoir altéré leur nerf sciatique, ou bien encore durant le développement de la marche chez les jeunes animaux. Dans ces différents contextes, ils ont combiné des enregistrements électrophysiologiques avec des expériences de photostimulation ex vivo et ainsi cartographié les connexions entre les cellules en grain et les cellules de Purkinje dans la région du cervelet spécialisée dans l’adaptation de la marche. Ils décrivent pour la première fois que l’organisation spatiale des connexions synaptiques se met en place en lien avec l’activité de l’animal et est spécifique du contexte locomoteur. L’organisation spatiale des connexions synaptiques dans le cortex cérébelleux code donc le contexte locomoteur définissant des cartes de connectivité.

Pour pouvoir étudier les modifications de ces cartes dans les différents contextes moteurs et décrire leur structure spatiale, qui n’est ni complètement désordonnée, ni complètement ordonnée, mais complexe, les chercheurs ont trouvé le langage approprié pour la description des « formes » complexes des cartes : la théorie des graphes. Cet outil mathématique a déjà été utilisé avec succès pour comprendre l’organisation en réseau complexe de systèmes très différents comme des écosystèmes, le génome et les interactions entre gènes et protéines à l’intérieur d’une cellule. En neurosciences, le langage des réseaux a déjà été utilisé pour décrire le « connectome », ou ensemble des connections, entre régions cérébrales. Ici, les scientifiques identifient le même niveau de complexité typique de ces circuits à grande échelle au sein des connections formés par les cellules en grains avec des cellules de Purkinje individuelles.

La théorie des graphes permet non seulement de décrire la structure globale des cartes synaptiques sans présupposés anatomiques, mais aussi d’extraire des relations de coopérations complexes entre les différents sites des cartes. Ainsi, les connexions entre des cellules en grains et une cellule de Purkinje forment un patchwork de zones connectés et d’autres silencieuses, et les relations entre ces zones forment une structure spécifique de l’adaptation d’un individu au contexte locomoteur.  De façon surprenante, les caractéristiques structurelles des cartes synaptiques, capturées par leur description dérivée de la théorie des graphes, permettent de prédire avec précision comment un individu se comporte dans un contexte locomoteur donné. Les chercheurs montrent que les cartes de connectivité synaptique codent des caractéristiques du mouvement dans chaque contexte spécifique (par exemple, le mouvement du membre lors de la marche ou de la course). Les cartes de connectivité synaptique représentent donc des engrammes spécifiques à l'individu de comportements adaptatifs établis tout au long de la vie.

Ces résultats pourraient permettre d’identifier des marqueurs fonctionnels de l’adaptation sensorimotrice dans le cervelet et ainsi de cibler des régions plus précises dans des protocoles de stimulation cérébrale dans des pathologies dépendantes du cervelet.

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© Philippe Isope
Figure. Stratégie expérimentale pour cartographier les connexions synaptiques dans les réseaux neuronaux et le corréler au comportement de l’animal. Panel 1, les animaux sont entrainés dans différents comportements moteurs. Panel 2, on extrait pour chaque souris des paramètres comportementaux liés à l’adaptation sensorimotrice (par exemple la distance parcourue ou la symétrie de la démarche dans un couloir). Panel 3, pour chaque animal est établie in vitro la carte des connexions synaptiques dans une zone précise du cervelet impliquée dans la locomotion. Panel 4, la structure de ces cartes  est déterminée en utilisant des algorithmes issus de la théorie des graphes. Panel 5 et prédiction, la structure des cartes et les paramètres comportementaux de chaque souris sont utilisés pour construire un outil capable de prédire le comportement à partir de la carte synaptique. Cet outil est validé en testant son efficacité sur des nouvelles données.

Pour en savoir plus :
Cerebellar connectivity maps embody individual adaptive behavior in mice.
Ludovic Spaeth, Jyotika Bahuguna, Theo Gagneux, Kevin Dorgans, Izumi Sugihara, Bernard Poulain, Demian Battaglia & Philippe Isope
Nature Communications 31 janvier 2022. DOI:
10.1038/s41467-022-27984-8

Contact

Philippe Isope
Chercheur CNRS à l'Institut des neurosciences cellulaires et intégratives (CNRS)
Demian Battaglia
Chercheur CNRS à l'Institut de neurosciences des systèmes (CNRS/Aix-Marseille université)

laboratoires

Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives (CNRS/Université de Strasbourg)
67084 Strasbourg, France

Institut de neurosciences des systèmes (CNRS/Aix-Marseille université)
13005 Marseille