Des anticorps en plastique : une nouvelle arme contre le cancer

Résultats scientifiques Biochimie-biologie structurale

Le traitement de nombreux cancers repose sur des anticorps monoclonaux thérapeutiques. Ces biomédicaments se fixent de façon spécifique sur certaines molécules (antigène) à la surface des cellules cancéreuses, bloquant ainsi leur croissance. Publiée dans la revue Angewandte Chemie, une étude montre que des anticorps synthétiques basés sur les polymères à empreintes moléculaires (MIP) pourraient être une alternative moins coûteuse et aussi efficace, pour se fixer à la cellule cancéreuse, inhibant ainsi son invasion.

Les polymères à empreintes moléculaires (MIP pour ‘molecularly imprinted polymer’) sont des matériaux biomimétiques : des particules de polymère contenant des cavités à l’échelle moléculaire, moulées autour d’une molécule cible unique (antigène), dont elles conservent l’empreinte. D’où leur propriété : elles reconnaissent et neutralisent cette cible exactement comme le fait un anticorps avec son antigène. Comme leurs caractéristiques chimiques et leurs formes peuvent être facilement adaptées à toute application envisagée, ces matériaux ont souvent été utilisés dans le domaine environnemental et agroalimentaire comme capteurs chimiques ou pour piéger des polluants tels que des perturbateurs endocriniens, mycotoxines, pesticides, ou pour le diagnostique médical, pour repérer des biomarqueurs de cancer et autres.

Les scientifiques ont synthétisé des MIP sous forme d’hydrogel nanométrique, plus compatible avec des cellules vivantes, permettant d’étendre l’application des MIP en thérapie. Le MIP en question, cible et bloque exclusivement les E et N-cadhérines, des protéines présentes dans plusieurs cancers invasifs. Les cadhérines sont des protéines transmembranaires qui assurent l'adhésion cellule-cellule. L'adhésion cellulaire repose sur l’insertion d’une cadhérine, par le biais de son Trp2 dans la poche hydrophobe située dans la cadhérine se trouvant dans la cellule opposée. La séquence N-terminale englobant le Trp2, qui est naturellement exposée, c.-à-d., Asp1-Trp2-Val3-Ile4-Pro5-Pro6-Ile7, commune aux E et N-cadhérines, s’imposait donc comme épitope.

Les MIP résultants reconnaissent cette séquence et les protéines entières de E et N-cadhérines avec une affinité et une sélectivité élevées (KD nanomolaire, pas de cross-réactivité avec des peptides mutants ou la P-cadhérine). En bloquant l’adhésion des cellules, les MIP se sont avérés très efficaces pour inhiber l'invasion de cellules HeLa (cancer cervical) in vitro. Les chercheurs ont ensuite montré sur des sphéroïdes tumoraux, outils permettant d’approcher in vitro la complexité des tumeurs solides, que les MIP détruisaient les masses denses de cellules cancéreuses d’une façon plus efficace que des anticorps thérapeutiques présent sur le marché. Ces résultats montrent que les MIP contribuent au décollage des cellules tumorales et pourraient travailler en étroite synergie avec la chimiothérapie, en favorisant l’accès des médicaments.

Comme les tests de viabilité cellulaire montrent que les MIP ne sont pas cytotoxiques, ces anticorps en plastique ont un grand potentiel en nanomédecine, encore plus pour des petits peptides faiblement immunogènes où l’obtention d’anticorps peut s’avérer difficile. De plus, les MIP peuvent être facilement couplés à des fluorophores, ou être modifiés si besoin pour les rendre non-immunogéniques. Ainsi, la technique de l’impression moléculaire peut représenter une stratégie simple et polyvalente pour la création d’une nouvelle plateforme thérapeutique dans laquelle des anticorps synthétiques contre n’importe quel épitope d’intérêt pourrait être synthétisés. Prochaine étape, pour les chercheurs, tester ces MIP in vivo.

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© Karsten Haupt

Figure : (A) L’adhésion cellulaire assurée par les cadhérines, repose sur l’insertion de Trp2 (fuchsia) dans la poche hydrophobe située dans la cadhérine de la cellule opposée. Le MIP (violet) reconnaît la séquence N-terminale qui englobe le Trp2, empêchant ainsi l’adhésion cellulaire et la formation de masse tumorale. (B) Structure 3-D de N-cadhérine montrant la séquence N-terminale, qui a été sélectionnée comme épitope. Le résidu Trp2 est coloré en fuchsia.

 

Pour en savoir plus :
Chemical antibody mimics inhibit cadherin-mediated cell-cell adhesion: A promising strategy for cancer therapy.

P. X. Medina Rangel, E. Moroni, F. Merlier, L. A. Gheber, R. Vago, B. Tse Sum Bui, K. Haupt.
Angewandte Chemie International Edition, 2020, 59, 2816-2822. doi.org/10.1002/anie.201910373

Plastic antibodies for cancer therapy?
A. M. Bossi. Nature Chemistry 2020, 12, 111-112. doi.org/10.1038/s41557-019-0415-6

Contact

Karsten Haupt
Enseignant-chercheur de l'Université de technologie de Compiègne au laboratoire Génie Enzymatique et Cellulaire (GEC)
Jeanne Bernadette Tse Sum Bui
Ingénieure de recherche CNRS au laboratoire Génie Enzymatique et Cellulaire (GEC)

Laboratoire

Génie Enzymatique et Cellulaire (GEC) - (CNRS/ Univ Picardie Jules Verne / Univ Tech Compiègne)
60203 Compiègne
France