Le codage cérébral des attentes mélodiques

Résultats scientifiques Neuroscience, cognition

La prédiction est centrale pour la perception et l'attente des événements à venir joue un rôle fondamental dans la perception de la musique. Dans le cadre d'une collaboration internationale, les scientifiques ont identifié un signal cérébral associé à l'attente et la surprise des notes de musique dans les mélodies. Ces travaux, publiés dans la revue eLife, pourraient à terme permettre de comprendre l'importance que chacun peut porter à la musique et comment ces mêmes mécanismes d'attente s’appliquent à la perception au sens large.

De nouvelles recherches ont permis de trouver un signal cérébral qui indique notre surprise lorsque nous écoutons des mélodies. Les chercheurs ont identifié un signal cérébral associé à l'attente et la surprise des notes de musique dans les mélodies. La communication exige un ensemble de règles communes. Dans le langage, l'orateur ainsi que l'auditeur doivent connaître la même langue, y compris ses règles grammaticales et son vocabulaire. De la même façon, la musique repose sur des règles et des structures qui peuvent changer radicalement d'une culture à l'autre et d’un genre à un autre. Notre familiarité avec les règles d'un type de musique particulier est cruciale pour notre plaisir et l'appréciation de ses pièces musicales. Comme pour une langue inconnue, un morceau d'un genre inconnu peut être perçu comme ennuyeux, gênant ou simplement comme une séquence de notes très étrange. Notre cerveau donne du sens à la musique que nous écoutons, ce qui est essentiel pour apprécier la musique. Toutefois, la manière exacte dont ce processus se déroule reste floue.

Cette nouvelle étude relève ce défi en montrant que le cerveau humain "devine" chaque note à venir dans une mélodie. Une nouvelle approche a permis aux chercheurs d'isoler les signaux neuronaux reflétant les attentes d'une note, et un codage séparé a été trouvé pour les attentes sur le timing et la hauteur d'une note. Les expériences ont été menées avec des techniques d'enregistrement du cerveau connues sous les noms d'électrocorticographie (ECoG) et électroencéphalographie (EEG), les participants écoutant un certain nombre de mélodies pour piano tirées de sonates et de partitas de Jean Sébastien Bach.

La première technique consiste à enregistrer les signaux électriques corticaux de patients ayant subi une intervention chirurgicale pour le traitement de l'épilepsie. Cette approche fournit aux chercheurs des données neurales avec des détails spatiaux et temporels précis sur des zones corticales particulières. La deuxième technique est une méthode non invasive d'enregistrement des signaux cérébraux de la surface du cuir chevelu en plaçant des capteurs sur une casquette élastique que chaque participant porte pendant la durée de l'expérience (généralement 1 heure). Cette technique permet d'obtenir une vue plus globale des réponses du cerveau à la musique, et n'est pas limitée à des patients.

Les chercheurs ont analysé l'activité cérébrale à partir de l'ECoG et de l'EEG et ont identifié les réponses du cerveau qui reflètent les attentes en matière de musique telles qu'elles sont estimées par un modèle informatique de la structure musicale. Ce modèle prédit chaque note à venir en se basant sur la partie précédente de la pièce musicale et sur un modèle de règles musicales, qui a été automatiquement calculé à partir d'un large ensemble de musique classique occidentale. Il est essentiel de noter que ces prévisions étaient similaires chez les musiciens experts et les non-musiciens, ce qui reflète le fait que ces derniers aussi comprennent et apprécient la musique.

Ce signal d'attente mélodique peut être utilisé comme un indice de "compréhension" de la musique et peut potentiellement contribuer à mieux cerner le lien entre la musique et les émotions, et clarifier ce qui est "universel" et ce qui est spécifique à la culture dans la musique. Parmi les applications possibles, on peut citer l'évaluation du développement perceptif du rythme et de la mélodie chez les nourrissons et les enfants, ainsi que l'évaluation des fonctions cérébrales pour déterminer l'efficacité des thérapies (par exemple, les thérapies cognitivo-comportementales) chez les patients atteints de démence.
 

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© Giovanni Di Liberto
 
Figure : L'activité cérébrale a été enregistrée avec EEG et ECoG pendant que les participants écoutaient de la musique de J-S Bach. Les données musicales et cérébrales ont été étudiées ensemble pour modéliser les réponses du cerveau à la mélodie et noter les attentes. Les chercheurs ont trouvé de fortes réponses cérébrales à la mélodie dans le cortex temporal. Ils ont également constaté que seule une partie de cette aire est sensible aux attentes des notes, avec des réponses plus fortes aux notes moins attendues.

 

Pour en savoir plus :
Cortical encoding of melodic expectations in human temporal cortex.

Di Liberto GM, Pelofi C, Bianco R, Patel P, Mehta AD, Herrero JL, de Cheveigné A, Shamma S, Mesgarani N.
Elife. 2020 Mar 3;9. pii: e51784. doi: 10.7554/eLife.51784.

Contact

Giovanni Di Liberto
Chercheur postdoctoral au Laboratoire des systèmes perceptifs (LSP)

Laboratoire

Laboratoire des systèmes perceptifs (LSP) - CNRS / ENS PARIS
29 rue d’Ulm
75005 Paris